Risque sismique à assurer
This article is provided in the original language.
18 janvier 2024 – La Suisse se demande comment financer la reconstruction du bâti après un tremblement de terre
Dangers naturels » «Un tremblement de terre de magnitude 6 dans les environs de Berne provoquerait la mort d'environ 400 personnes, des dégâts pour 11 milliards de francs et jetterait près de 60000 individus à la rue. C'est une situation comparable à ce qui a pu se produire en Italie ces dernières années.»
Avec cet exemple, Stefan Wiemer, professeur de sismologie et directeur du Service
suisse de sismologie à l'EPFZ, souligne une réalité: la Suisse doit tenir compte du risque induit par les tremblements de terre.
S'exprimant mardi lors d'un panel de discussion «La Suisse est-elle bien préparée face aux séismes» dans le cadre de Swissbau 2024 à Bâle, le spécialiste poursuit: «Selon l'analyse nationale des risques de catastrophes ou de situations d'urgence, les tremblements de terre sont à la cinquième place des plus grands dangers, derrière le black-out, une épidémie de grippe, une panne du réseau mobile ou une vague de chaleur.» Les séismes pointent même à la troisième place en termes d'ampleur des dommages et à la première dans le classement des risques naturels.
Engagement conditionnel
Face à cette menace, l'Association des établissements cantonaux d'assurance soutient un «système d'engagements conditionnels en cas de séisme». Le principe? «Il s'agit d'une solution de financement par répartition. Le montant dû par les propriétaires de biens immobiliers n'est débité qu'une seule fois et après la survenue d'un tremblement de terre», explique le directeur Michael Wieser, qui participe au panel de discussion. Concrètement, tous les bâtiments se trouvant en Suisse et dont la valeur assurée n'excède pas 25 millions de francs seraient concernés, à l'exception des immeubles fédéraux. La contribution s'élèverait au maximum à 0,7% de cette valeur assurée, avec une frànchise d'au moins 25 000 francs. Selon les calculs au r janvier 2023, une telle ponction ponctuelle rapporterait 22 milliards de francs pour la reconstruction des zones détruites.
Un système qui ne convainc pas l'Association suisse d'assurances (ASA) qui le juge inutile. «Le risque sismique remplit toutes les conditions de l'assurabilité », explique-t-elle sur son site. Selon elle, les assureurs privés peuvent donc très bien remplir cette tâche. En outre, «le système d'engagements conditionnels non seulement ne couvre pas tous les bâtiments, mais pas tous les dommages non plus», ajoute Eduard Held, chef du Département de la nonvie et de la réassurance (il ne participait pas au panel de discussion). Et de mentionner ainsi l'inventaire du ménage et les biens meubles qui ne seraient pas couverts.
Cela n'ébranle pas Michael Wieser. Basé sur la solidarité à l'échelle de la Suisse et couvrant tant les petits propriétaires que par exemple les caisses de pension qui ont investi dans l'immobilier, le système qu'il juge avantageux «permet un financement rapide de la reconstruction, car il importe de limiter les dommages consécutifs à un séisme pour l'économie et la société».
Mais pour l'ASA, un financement rapide n'est pas garanti. Selon elle, plusieurs questions se posent, comme la capacité de paiement en cas de catastrophe, la gestion d'éventuels refus ou retards de paiement, ou encore la charge administrative qu'impliquerait un tel système.
Consultation en cours
Son refus ne serait-il pas motivé par la crainte de perdre des assurés potentiels? «Il n'y a aucune raison de proposer une solution étatique partielle pour un problème qui peut être résolu par l'économie privée. Il existe déjà suffisamment d'offres d'assurances sur le marché », insiste Eduard Held.
Les débats s'annoncent donc intenses, d'autant plus que le Conseil fédéral a ouvert la procédure de consultation sur ce syse tème d'engagements conditionnels le 8 décembre dernier. Elle court jusqu'au 22 mars. Pour rappel, c'est le parlement qui a exigé du gouvernement en 2021 de proposer un tel mécanisme.
En cas de rejet, quelles pourraient être les alternatives? «Soit une assurance obligatoire, qui aura de la peine à obtenir le soutien de la population, soit une aide étatique d'urgence qui devra être financée après coup par les impôts», imagine Michael Wieser. A l'heure actuelle, environ 15% des bâtiments sont assurés contre les séismes.»
La Suisse n'est pas à l'abri
Dans le vocabulaire scientifique, l'on distingue l'aléa du risque sismique. Le premier indique «la probabilité qu'un séisme d'une force donnée soit perçu dans une période donnée à un endroit précis», éclaire Stefan Wiemer, professeur de sismologie et directeur du Service suisse de sismologie à l'EPFZ. Il concerne avant tout le Valais, la région de Bâle et certaines parties des Grisons.
Le risque sismique, lui, intègre non seulement l'aléa, mais également les effets amplificateurs du sous-sol, la concentration et la valeur des biens en surface ainsi que la vulnérabilité des bâtiments, énumère le chercheur. Toute la Suisse est concernée, en particulier les villes très peuplées. Mais dans des localités comme Bienne ou Vevey, le risque proportionnellement à la densité de peuplement est relativement important. En cause: un sol souvent meuble.
En cas de tremblement de terre, l'Organisation dommages sismiques (ODS) vient en aide aux cantons. Elle met à disposition des experts pour évaluer l'ampleur des dégâts et établir des estimations pour la reconstruction. «Sur une année, nous sommes en mesure de le faire pour 300 000 bâtiments», indique le directeur Thomas Kühni. L'ODS est financée à moitié par les cantons et le Liechtenstein et à moitié par des assureurs privés.
«Les progres sont nombreux»
La Suisse n'est pas encore bien préparée face aux séismes. Mais elle prend des mesures et est sur la bonne voie, selon Blaise Duvernay, directeur du domaine risque sismique à l'Office fédéral de l'environnement.
Dans quelle mesure les bâtiments en Suisse répondent-ils aux normes antisismiques?
Blaise Duvernay: Environ 80% d'entre eux ont été construits sans aucune mesure particulière ou avec des normes dépassées. Dès les années 1970, les tremblements de terre sont mentionnés dans les normes, sans grand effet sur les constructions. En 1989 est adoptée la première norme «moderne» qui ne sera respectée que de façon lacunaire. Il faut attendre 2003 pour une véritable prise de conscience et pour l'adoption de normes plus strictes ainsi qu'une meilleure formation des ingénieurs.
En quoi consiste la construction parasismique?
On intègre principalement des éléments stabilisateurs dans les constructions. Il peut
s'agir par exemple de murs en béton armé ou de treillis en acier qui stabilisent le bâtiment en le retenant en cas de secousses horizontales. Il est aussi important de sécuriser des éléments tels que faux-plafonds, façades et équipements lourds. De manière générale, ces mesures n'engendrent qu'un surcoût de 1 à 2%. Concernant les infrastructures critiques comme les services d'urgence des hôpitaux et les casernes de pompiers, des mesures plus sophistiquées existent, comme des isolateurs, des sortes d'amortisseurs, placés sous le bâtiment. Celui-ci ne va alors presque pas bouger pendant le séisme et, surtout, va rester fonctionnel.
Peut-on renforcer les bâtiments actuels?
Oui, mais cela entraîne en moyenne un coût de 5 à 10% de leur valeur. Il n'est donc pas toujours raisonnable de le faire pour les bâtiments anciens. Cela dépend du niveau de sécurité en l'état et du rapport coût-bénéfice des mesures.
Que devrait-on améliorer?
Les progrès sont nombreux depuis 20 ans. Ce qui est particulièrement à améliorer en matière de construction parasismique est l'intégration de la sécurité sismique dans les procédures de permis de construire cantonales et la sécurisation des éléments non porteurs et des équipements des bâtiments.
A l'heure actuelle, qui paie la facture en cas de séisme dévastateur?
Pour les 10 à 15% de propriétaires assurés, c'est leur assurance qui prend en charge les coûts. Certains établissements cantonaux d'assurance - dont celui de Fribourg - font partie d'un pool doté de 2 milliards de francs. Cette somme pourrait être allouée aux propriétaires touchés, pour autant qu'ils habitent l'un des cantons participants. Pour le reste, l'Etat fédéral pourrait être appelé à la rescousse, mais il n'existe aucune loi. Il faudrait donc légiférer en urgence. C'est la raison pour laquelle le projet de mécanisme de financement de la reconstruction est mis en consultation jusqu'en mars.
Texte source: La Liberté - «Risque sismique à assurer» | 18 janvier 2024